Crédit Madeleine Pradel / Alexandre Marchand / AFPTV
Sa stratégie tournée vers l’exportation combinée à une ouverture extérieure, ayant pour but d'attirer les investissements directs étrangers (IDE) a laissé le pays à la merci de facteurs extérieurs sur lesquels une grande partie de sa croissance économique repose. Résultat : une série de cycles d'expansion et de récession qui n'aident pas à résoudre les nombreux problèmes d'ordre intérieur auxquels doit faire face le géant sud-américain.
Crédit Banque Mondiale
Suite à la stratégie d’accroissement de la dette par substitution d’importations, beaucoup ont encensé la politique d’exportation lorsque les dragons asiatiques ont connu des taux de croissance phénoménaux, des années soixante-dix au début des années quatre-vingt-dix, suivi par son développement économique.
Dès lors, les pays en voie de développement ont été encouragés à marcher dans les pas des quatre dragons, ce qui signifie plus de néolibéralisme et une intervention de l’État réduite à zéro. En effet, les politiques de développement de ces soixante dernières années ont été dominées par une approche commune, enlisée dans le libéralisme, voire plus récemment le néolibéralisme, et ne se concentrant que sur la croissance. C'est une vision mal avisée des caractéristiques du modèle économique de l'Asie de l'Est.
Plus d’une fois la communauté internationale a exclu le fait que le « miracle asiatique » serait le résultat d’un ensemble de cultures et de valeurs institutionnelles asiatiques ne pouvant être reproduites ailleurs. Mais ce modèle de développement économique est essentiellement dirigé par l’État. Cela ne signifie pas que de gros investissements ne sont pas importants ou qu'ils n'influent pas sur le fort taux de croissance, mais rediriger ces investissements vers les industries clés est le principe même de ce modèle. Les quatre dragons ont fait bon usage de leurs IDE, dans des secteurs clés tout en protégeant d'autres secteurs de la nature volatile des investissements étrangers. La situation de la politique intérieure du pays est cruciale quant au succès et à la légitimité d'une croissance menée par l’État. L'économiste politique Francis Fukuyama souligne que la réussite des pays en voie de développement dépend de différents points institutionnels de départ : certains pays possèdent les conditions adéquates, et d'autres non.
Les bonnes conditions
Investir dans l'éducation a été loué comme l'un des aspects les plus importants du modèle asiatique. Selon une enquête de l'OCDE, contrairement à la main d'œuvre sur-éduquée de Hong Kong, Singapour, Taïwan et Corée du Sud, le Brésil est seulement classé 54ème sur 57 pays en mathématiques et 48ème sur 61 pour la lecture. Quant à l'école primaire, le pays est classé 119ème au niveau mondial. Pearson, une grande compagnie du secteur de l'éducation, a classé la Corée du Sud au deuxième rang pour son système d'éducation, tandis que Hong Kong, le Japon et Singapour sont respectivement classés 3ème, 4ème et 5ème. Cette tendance a été confirmée par la dernière enquête PISA de l'OCDE.
Bien qu’actuellement très bien placé en terme de compétitivité, l'avenir du Brésil sur la scène internationale dépendra de sa prise, ou non, d’une décision quant à la mise en place d’une politique utilisant les ressources publiques afin de réduire la classe populaire. En d’autres termes : utiliser à bon escient le reste de sa main d'œuvre qui est pour l'instant gâchée. Rien qu'à Rio de Janeiro, plus d’un million de personnes vivent dans des favelas. L'absence de l’État se ressent profondément dans ces favelas brésiliennes, mettant en avant les banlieues des grandes villes où les gangs ont pris le contrôle.
Ceci nous amène à nous questionner sur le rôle de l’État dans le développement économique. Comme évoqué précédemment, les gouvernements de l’Asie du Sud-Est ont considérablement influé sur la société. Ce qui a mené à la création de groupes d’intérêt très organisés et à l’instauration d’une confiance en un service public efficace, mais qui a par ailleurs réduit l’influence de l’opposition politique. Une conception équivoque de la démocratie s’ajoute aux facteurs ayant favorisé le développement spectaculaire des dragons asiatiques. Bien qu’autoritaires, ces gouvernements étaient stables et puissants. À l’inverse, le Brésil se débat avec un modèle de démocratie fragile, des déficits éducatifs ainsi qu'une violence et une insécurité sévissant toujours dans de nombreuses villes. Le caractère insoluble de ses favelas n’est pas sans rappeler la faiblesse du gouvernement brésilien, dont la légitimité démocratique repose sur les promesses illusoires qu’a faites ce dernier à des millions de personnes vivant en marge de la société. Si le Brésil est la septième économie mondiale (Banque Mondiale, 2012), les manifestations de 2013 – le plus important mouvement contestataire depuis 1992 – contre l’augmentation du prix des transports, puis contre la corruption gouvernementale et les dépenses colossales liées à l’organisation de la Coupe du Monde, et des Jeux Olympiques à venir, illustrent les graves enjeux socio-politiques auxquels ce pays d’Amérique latine est confronté.
Un pays de contrastes
Le Brésil est le plus gros État de la région latino-américaine et des Caraïbes en termes de superficie et de population. C'est également le cinquième plus grand pays au monde, ce qui contraste grandement avec les petits États peu peuplés d'Asie de l'est. Le pays possède une population multiethnique et connaît d'importantes inégalités de revenus et d'intégration entre les différents groupes ethniques, contrairement aux sociétés relativement homogènes et très cohésives des dragons asiatiques. Ainsi, tenter de mettre en place le modèle de développement est-asiatique complet au Brésil pourrait échouer à produire de la croissance voire, au contraire, générer de la corruption et créer un désastre économique. Bien que la croissance n'ait pas vraiment été une préoccupation pour un pays aussi riche en ressources naturelles que le Brésil, la corruption gangrénant le gouvernement et sa dette économique sont la preuve que des problèmes sous-jacents existent et ne peuvent être ignorés.
Ceci ne signifie pas pour autant que le Brésil n'a pas fait de progrès remarquables. Le pays a mieux su gérer la crise économique que d'autres et, depuis l'an 2000, 13 million de Brésiliens sont sortis de la pauvreté, et 12 millions de l'extrême pauvreté. Néanmoins, ce pays ne peut pas compter sur le modèle de développement économique des dragons puisque les hauts investissements ne représentent pas un facteur de croissance fiable. De plus, le pays ne bénéficie pas des conditions politiques requises pour retirer de ce modèle un développement prolifique.
Le pays a beau être sur le point de prendre une place conséquente sur la scène internationale, il reste le 3ème pays d'Amérique latine avec le plus d'inégalités et le 10ème pays le plus inégalitaire au monde. En 2008, à Rio seulement, 4 600 personnes sont mortes, victimes de la drogue, des milices et des violences policières. Tandis que le Brésil monte en puissance sur la scène internationale avec une élite riche, une partie non-négligeable de la population est laissée pour compte, ne recevant pas les fruits de la croissance; elle restera marginalisée jusqu'à ce que le gouvernement se décide à les prendre en charge.